Il ne faut jamais déranger une chouette ... l Nuage de Brasier

Cette nuit je ne pourrais sans doute pas m'endormir. Je le pressentais. Je n'avais pas eu entraînement aujourd'hui, ce qui était curieux puisque c'était la première fois que je n'avais rien à faire... Alors pendant toute la matinée j'étais allé chasser seul, mais je n'avais presque pas bougé de l'après-midi. Ce qui expliquait l'impatience que j'avais ce soir. Je ne pouvais pas m'endormir, j'avais simplement envie de bouger, alors à quoi bon rester dans la tanière des apprentis ? Je les dérangerais si je restais... Je réussis à sortir sans en bousculer un seul. Il était déjà tard, j'avais passé longtemps à essayer de m'endormir.

Je me dirigeai vers la sortie du camp, qui, comme je m'en doutais, n'était pas gardée à cette heure-là. Après tout, tout le monde avait le droit a un peu de repos ! Je ne savais pas encore où j'irais, de toute façon j'avais tout ce qui restait de la nuit devant moi. Je fis d'abord un tour par la combe sablonneuse, machinalement, comme tous les jours d'entraînement. Avec le temps passé à venir jusqu'ici, ma vision nocturne devenait de plus en plus précise. Parfait. J'en aurais bien besoin pour le reste de la nuit...

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Quelques heures plus tard, je marchais toujours. Enfin, l'aube arrivait... Mais on ne voyait à cause de la brume. En effet toutes les nuits sont très humides dans la forêt : la rosée, qu'on trouvait partout, en attestait. J'avais erré je ne sais combien de temps, juste pour le plaisir de quadriller le territoire, le parcourir de fond en comble. Je décidai donc de rentrer en passant par une ultime destination : l'Arbre aux chouettes. On nous enseignait ce que pouvait apporter ces volatiles : en effet, ils voient beaucoup mieux que nous la nuit. Lorsqu'elles s'envolent, on peut essayer de les suivre ; lorsqu'elles piquent, on a trouvé une proie. En temporisant bien comme il faut, il est possible d'attraper et la chouette et sa proie. Deux pour le prix d'une ! Je n'ai réussi qu'une seule fois.

J'étais presque arrivé au lieu dit lorsque j'entendis un cri aigu, celui d'un des rapaces sans doute. Qu'est-ce qui pouvait bien le mettre en colère comme ça ? Je me précipitai pour découvrir, au pied de l'arbre, une boule de poils brune foncée, un des chatons du Clan, qui avait sans doute déjà subi quelques coups de griffes ou de bec, il hurlait ! Je regardai rapidement au-dessus et je vis l'oiseau lui foncer dessus. Il fallait agir vite, puisque le pauvre ne pouvait pas du tout se défendre du fait de sa taille et de la surprise. Au moment ou l'oiseau retombait sur lui, je pris mon élan et sautai pour percuter l'oiseau. Je n'avais pas tout à fait bien calculé et je frappai que le crâne du rapace qui fut désorienté mais reprit son envol malgré cela. Il reviendrait bientôt à la charge... Je me tournai vers la boule de poils et lui criai :

"Vite ! Il faut qu'on s'en aille d'ici, il ne va pas tarder à revenir !"

J'espérai qu'il ait déjà repris ses esprits, au moins suffisamment pour pouvoir fuir avec moi... Il était trop dangereux d'essayer d'attaquer l'oiseau alors que j'étais accompagné d'un chaton de quelques lunes.

Sitôt dit, sitôt fait. En moins de temps qu'il n'en faut pour dire "rat", le jeune chaton était levé, prêt à me suivre. Ce qui montrait sa réactivité et son sang froid dans les situations compliquées, il ferait sans doute un bon guerrier plus tard... Je pris la direction du camp en courant assez vite, mais pas trop non plus pour qu'il puisse me suivre aisément. Plus nous nous éloignions, plus les cris aigus du rapace s'éloignaient... Au bout d'un moment, je décidai que nous étions hors de danger et je m'arrêtai. Je me retournai pour voir où il en était, il ne se trouvait qu'à quelques longueurs de queues de là. Je nous laissai le temps de reprendre notre souffle à chacun, puis après quelques instants je lui demandai :

"Que faisais-tu ici si tôt le matin ? C'est pas forcément un lieu ou on est en sécurité la nuit..."

J'espérais qu'il me dise la vérité, qu'il n'essaie pas de me mentir. Si c'était le cas, je pense que je le verrai immédiatement, en général, on ne peut pas justifier une telle sortie quand on est encore censé dormir à la pouponnière... Mais quoi qu'il en soit, je n'irai pas le rapporter à la cheffe ; ça m'est aussi arrivé à quelques reprises de sortir du camp à cet âge-là. Je me souviens encore pourquoi ; j'étais toujours sage, calme et je n'osais pas transgresser les règles. Mais l'envie de nouveauté m'avait submergé, j'en avais marre du camp dont je connaissais les moindres recoins. Donc j'avais fini par sortir, et ça m'avait fait du bien. Et j'avais rencontré des personnes très sympathiques aussi. Donc je le comprenais, si il en avait marre de rester cloisonné au camp.

Je ne savais pas trop s’il voulait me répondre ou non ; après tout, ma question pouvait lui sembler indiscrète… Mais de toute façon il n’avait pas le choix, il devait me répondre, que ce soit un mensonge ou non. Et puis si c’était un mensonge, je pense que je m’en rendrai compte assez vite. Sa réponse fut :

« Je n'arrivais pas à m'endormir et je n'avais personne pour jouer. Je suis sorti dans le Camp. J'avais prévu de ne pas sortir mais la sortie n'était pas gardée et je n'ai pas pu résister. Au fait, tu sais quel est ce drôle d'oiseau ? Il est sorti de l'arbre et m'a attaqué sans raison ! »

J’ai le sentiment qu’il me dit la vérité, et c’est vraisemblable. Le fait de ne pas arriver à s’endormir, ça me ressemble un peu ! Donc je peux dire que je le comprends, quand j’étais encore à la pouponnière je ne sortais presque jamais mais j’en avais aussi marre de rester tout le temps au camp. Je n’étais qu’une seule fois non accompagné et ça avait été une sacrée journée ! En une seule journée j’avais rencontré trois personnes qui ne faisaient pas partie du Clan… Depuis cette excursion je ne refuse jamais une rencontre, puisque je sais maintenant que tout est bien plus compliqué que ce qu’on tente de nous faire croire : une différence de Clan ne peut pas empêcher l’amitié ou du moins la bonne entente. Dans mon cas, le proverbe est bien respecté, « les voyages forment la jeunesse ». En espérant qu’il en soit de même pour le jeune chaton qui se tenait devant moi. Mais il m’avait posé une question. Je lui répondis donc :

« L’oiseau qui t’a attaqué, c’est une chouette. C’est un rapace qui a une excellente vision nocturne. Par malchance tu te trouvais au pied de l’arbre aux chouettes, et comme tu es encore un peu petit, celle-ci a dû te prendre pour une proie car d’ordinaire elles n’attaquent pas les chats. » Je tenais à ajouter quelque chose par rapport à sa sortie :

« Tu sais, je ne vais pas aller raconter ta petite escapade à qui que ce soit. Moi aussi, je trouvais la vie de chaton bien monotone… on ne peut jamais rien faire de très intéressant. Si tu aimes tant sortir, alors tu vas aimer l’apprentissage ! On n’arrête pas de quadriller le territoire pour différentes leçons ou évaluations !

Je venais de lui apprendre que je n'allais rien dire et visiblement il en était heureux. Au moins il ne sera pas puni, et son baptême ne sera pas retardé... Au vu de sa taille, je dirais qu'il avait trois ou quatre lunes, c'est déjà assez loin comme ça, faut pas exagérer non plus ! Il enchaîna sur mes phrases :

"Comme ça à l'air bien d'être apprenti ! Ça fait comment de chasser ? Tu m'apprends ?"

Euh, la chasse ? D'accord, je vais essayer de lui apprendre correctement, mais je n'étais pas encore très entraîné, je suis apprenti depuis un peu moins d'une lune encore ! Bon, heureusement il n'y a pas des dizaines de techniques comme au combat... Et puis je ne me débrouille déjà pas trop mal ! Je décide de lui répondre :

"D'accord, je vais essayer de t'apprendre ! Mais je ne te garantis rien, je suis apprenti depuis peu de temps, ma technique n'est peut-être pas parfaite. On va chercher de quoi te montrer un exemple, suis-moi !"

Avec la chouette, il y a eu tant de bruit que je préfère m'éloigner encore un peu plus de l'arbre aux chouettes. Je me lève et me dirige dans une direction à l'opposé de l'arbre, le plus silencieusement possible, les sens en alerte. Il s'est mis à me suivre et a compris qu'il faut rester le plus silencieux possible... Soudain, une odeur de souris me parvient. Peu de temps après je distingue un mouvement dans les feuilles au pied d'un arbre. Je me mets en position afin d'être le plus discret possible ; je fais attention à sur quoi je marche, sans faire de bruit ; le vent est dans le bon sens, elle ne peut pas me sentir. D'un geste de la queue j'intime à Petite Écorce de rester là où il est. Une fois à bonne distance de ma proie je bondis et parviens à l'attraper entre mes griffes. Je l'achève d'un coup de crocs. Parfait ! J'ai réussi ma démonstration ! Je me retourne vers Petite Écorce et dépose ma proie au sol, content de moi. Je lui dis alors :

"Tu m'as bien observé ? Alors essaie de reproduire ma position ! Je te dirai si quelque chose ne va pas."

Je me demande s'il m'a bien observé... En effet je ne croyais pas avoir fait d'erreur cette fois-ci, donc s'il avait bien suivi ma démonstration ce serait un vrai bonus pour lui. Sans rien dire il se met en position et fait quelques pas aux alentours. J'observe, à l'affût d'une éventuelle erreur. Hauteur du corps ? Proche du sol, bien comme il faut. Position de la queue ? Ni trop haut ni trop bas, parfait. Mouvements ? Haches souples, quasiment aucun bruit ne me parvient. C'est très bien ! Je suis fier de moi et heureux d'avoir pu lui apprendre quelque chose qui lui servira. Et puis il est tellement jeune que ce court exercice lui restera en mémoire et il pourra épater son mentor plus tard ! Sans cacher je lui dis d'un ton chaleureux :

"C'est très bien ! Je ne vois pas d'erreur. Laisse-moi quand même te rappeler de bien faire attention où tu marches, c'est souvent une source de bruit. Aujourd'hui je ne vais pas te faire essayer en conditions réelles, mais si tu pratiques un peu tous les jours, tu auras un bel avantage lorsque tu commenceras l'apprentissage !"

Je me demande ce que l'on peut trouver à faire maintenant. Puis je me dis qu'après tout il n'a pas dormi, a affronté le bec et les serres d'une chouette et a supporté une petite leçon. Même si c'était lui qui me l'avait demandé, il était peut-être un peu fatigué maintenant ? Ou avait-il faim ? En tout cas c'était mon cas. Je regarde discrètement la souris que j'ai attrapée il n'y a pas très longtemps puis je demande au chaton :

"On rentre au camp maintenant ? Je ne sais pas si c'est ton cas mais je meurs de faim ! Comme je ne sais pas trop si j'ai le droit de manger sans avoir rapporté ma proie, mieux vaut que j'en prenne une au camp. Et puis, le Clan devrait commencer à se réveiller !"

Je regarde le soleil, qui est déjà plus haut que l'horizon désormais. Et si les autres apprentis étaient déjà levés, prêts à aller s'entraîner ? Je prie pour ne pas être en retard.