ɴυαɢe de ғrαιѕe - נυѕт α ℓιттℓє ѕтяαωвєяяу !

* Prologue

Un, deux, trois. Demi-tour. Un, deux, trois. Demi-tour. Un, deux, trois …

« Tu peux arrêter ? Tu me donnes mal à la tête. »

Bec de Corbeau, le chat au pelage noir et aux yeux ambrés, c'est mon papa. En ce moment, il fait les cents pas devant le gîte des guerriers, comme s'il avait des fourmis dans les pattes. Celui qui vient de parler, le mâle brun-roux aux yeux noisettes, c'est Tige de Roseau, le meilleur ami de papa . Ils sont amis depuis longtemps, ils ont partagés ensemble leur entraînement d'apprenti et ont été baptisés le même jour. Ils ont toujours été proches. Liés comme les deux coussinets de la patte.

Et ils n'ont pas que ces lunes d'entraînement en commun. Ils ont aussi maman. Maman, c'est la plus belle. Elle est blanche, avec du roux sur les oreilles et la queue. Et ses yeux, ses beaux yeux, ils sont bleus, bleus comme le ciel durant la saison des feuilles vertes. Parfum de Lavande – maman, donc – est la sœur de Tige de Roseau. Ils sont de la même portée, avec ma tante, Esprit des Forêts. Elle est gentille ma tante, aussi. Un peu fofolle, mais gentille. Je l'aime beaucoup. Elle me met toujours de bonne humeur. Elle est d'agréable compagnie.

Mais même si elle est gentille, Esprit des Forêts n'aime pas papa. D'après maman, c'est parce que Bec de Corbeau est parfois un brute, rude. C'est vrai que papa, il est pas dégoulinant le guimauve. Il semble avoir du mal à montrer son affection. Même à maman. Mais il l'aime, ça, j'en suis sûre. Parce qu'à chaque fois qu'il la voit, ses yeux brillent comme la Toison Argentée. Donc, ça veut dire qu'il aime maman. Parce que les yeux d'Esprit des Forêts ne brillent jamais en voyant Bec de Corbeau. Donc elle n'est pas amoureuse.

Moi ? Je suis pas encore née. Mais j'arrive, bientôt. Pour le moment, je suis bien au chaud dans le ventre de maman. Je sais que je vais bientôt sortir, et Parfum de Lavande le sait aussi. Ca fait quelques jours qu'elle ne bouge plus. Oh, comment je sais tout ce que je raconte là-haut ? Je suis allé un peu trop vite en besogne. En fait, tout ce que j'ai raconté précédemment, c'est ce que j'ai eu le loisir d'observer après ma naissance. Je voulais juste placer le décor. Mais maintenant que tous les acteurs sont sur scène, sonnons les trois coups, attention au lever du rideau !

* Chapitre I

Aujourd'hui, ça fait exactement deux lunes et trois jours quand je suis dans le ventre de maman. J'y suis bien, il fait chaud. Je suis seule, cependant. Pas de frère et sœur pour moi ! Mais à l'instant présent, je m'en soucis guère. J'apprécie la relation fusionnelle que j'ai avec maman. Je ne l'ai jamais vu, mais je sais déjà que je l'aimerais pour toujours. Qu'elle sera toujours ma meilleure amie, et qu'elle me soutiendra quoi que je fasse. Je l'aime déjà de tout mon petit cœur. Elle y aura toujours la première place.

Mais voilà, ce jour-là, je me sens pas bien. Le ventre de maman n'est pas aussi chaud et confortable. Je me sens ballottée, comme une bouée en plein orage. Je sens que maman à mal. Mais j'ignore pourquoi. J'ignore également pourquoi je ne suis pas bien là où j'ai toujours ressentie l'extase pure. Ce n'est pas normal. Et puis, enfin, l'orage s'apaise. La mer se retire. Et pour la première fois de ma petite vie, j'ai froid.

J'ai froid. Moi qui n'avait jusqu'alors connu que la chaleur douce et réconfortante, je ressentais désormais son parfait contraire. Et, réellement, je ne l'appréciais guère. A cet instant de ma vie, j'aurais tout donné pour retourner dans le ventre de Parfum de Lavande. Je grelottais, petite boule trempée sur une litière de plumes et de mousses. Je senti alors quelque chose de chaud, humide et râpeux glisser sur mon court pelage visqueux. Une odeur embauma mes narines. Ma maman.

« Comment veux-tu l'appeler ? »

Une voix rude, un peu rauque, venait de retentir à la droite. A ce moment-là de ma vie, j'ignorais que cette voix appartenait à mon papa. Mes yeux étant hermétiquement clos, je ne pouvais voir leur air heureux et tendre. On me déplaça alors vers une tétine, qui sentait horriblement bon. Mon instinct agit par lui-même. Je m'accrochai à la tétine, et me mit à téter. Un délicieux liquide coula dans ma petite gorge, contentant mon petit estomac.

« Petite Fraise. »

Me voilà. Je suis née. Je suis en bonne santé. Maman et papa sont heureux. Ma vie commence.

Salutations, le monde. Je suis Petite Fraise.

* Chapitre II

J'ai grandi : j'ai désormais deux lunes. J'ai ouvert les yeux – ils sont bruns-noisettes – et je crapahute dans la pouponnière, au grand désarroi que Parfum de Lavande, qui doit redoubler de vigilance. Quand j'étais encore plus petite, j'essayais toujours de m'enfuir, et maman m'avait retrouvé plus d'une fois dans la tanière de Fleur de Soleil, la guérisseuse. Désormais, j'ai plus conscience de mes actes. Même si je continue à faire des petites bêtises, j'ai cessé de m'enfuir à tout va. Je préfère m'amuser avec les autres chatons, ou avec Bec de Corbeau.

Papa est très gentil avec moi : il m'explique la constitution du camp, et le rôle de chacun au sein du Clan. Même si je trouve notre chef, Étoile de la Passion, vraiment impressionnante, j'ai tout de même une préférence pour Fleur de Soleil. Elle est belle, et gentille. Je ne comprends pas réellement son rôle au sein du Clan, mais je me doute qu'elle est aussi importante qu’Étoile de la Passion ou Plume de Perroquet.

Quand papa est à la chasse ou en patrouille, c'est maman, Esprit des Forêts ou Tige de Roseau qui veillent sur moi. Esprit des Forêts est gentille, mais elle dit souvent des trucs méchants sur Bec de Corbeau. Ils ne s'aiment pas, ces deux-là. Elle arrête pas de dire qu'il est aussi agréable qu'un blaireau et que Parfum de Lavande méritait mieux. Je ne comprends pas pourquoi elle est si désagréable avec papa : certes, il est pas câlin et ne ronronne pas comme une locomotive à chaque fois qu'il rend visite à maman et moi, mais il est gentil, et il nous aime. C'est ça le plus important, non ?

Tige de Roseau, lui, il est marrant. A chaque fois, il me raconte des petites anecdotes marrantes sur les membres du Clan, surtout sur Bec de Corbeau. Il paraît, qu'une fois, il s'est retrouvé bloqué dans un terrier de lapin et que Tige de Roseau avait dû creuser pour l'aider à sortir. A cette époque, j'ignorais à quoi ressemblait un terrier de lapin, mais j'imaginais tout de même que la scène devait être bien comique pour que tonton se moque comme ça de papa. J'aime beaucoup Tige de Roseau. Il fait toujours attention à moi. Il est mon ange gardien. Comme un second papa. Je l'aime pas autant que Bec de Corbeau, mais beaucoup plus qu'Esprit des Forêts.

Les premières lunes de ma vie ont donc été ponctuées d'expériences de vie : ma première sortie de la pouponnière, mon premier jeu entre chatons, ma première visite chez Fleur de Soleil, ma première bouchée de lapin, mes premiers chagrins. Je me souviendrais toute ma vie de la première fois que je me suis sentie triste. J'avais trois lunes, et maman m'avait laissé sous la surveillance d'une autre reine pour aller chasser un peu. Néanmoins, puisqu'elle ne rentrait pas, j'ai cru qu'elle ne m'aimait plus et qu'elle m'avait abandonné. Bien sûr, quand elle est rentrée, j'ai feins la certitude qu'elle reviendrait vers moi. Mais Parfum de Lavande savait pertinemment que je lui mentais, parce que je ne savais pas faire. D'après elle, à chaque fois que j'énonce un mensonge, mes moustaches gigotent. Traîtresses amies !

Néanmoins, mon souvenir le plus précieux, c'est le jour où j'ai réalisé que je voulais devenir apprentie-guérisseuse …

* Chapitre III

Comme tout les chatons, je passais le plus clair de mon temps à dormir, manger et jouer. Une boucle infinie, du crépuscule à l'aurore. Ma vie de chaton innocent ne demandait rien de mieux. Je rejoignais les autres chatons une fois réveillée et jouait avec eux jusqu'à ce que la faim me ramène vers Parfum de Lavande. Et quand je ne supportais plus le poids de mes petites paupières, j'allais me rouler en boule dans mon nid. Une vie de plaisirs et de besoins, où le souci n'existait pas.

Cependant, les lunes passant, j'ai commencé à m'intéresser plus sérieusement aux apprentis du Clan. Je les observait parfois quand ils révisaient leurs techniques de chasses ou de combat. Des fois, je tentais de les reproduire. C'était très rarement concluant, mais ça m'amusait, et m'occupait. Et puis, si je commençais à m'entraîner maintenant, je serais en avance sur les autres et mon futur mentor serait fier de moi.

Mais seulement voilà : un matin, Esprit des Forêts revint au camp en boitant. Un filet de sang glissait le long de la patte arrière gauche, et son visage était déformée par une grimace de douleur. Me ruant près d'elle, je me suis inquiétée de son état. Ce jour-là fut la première fois que je vis Fleur de Soleil à l’œuvre. Le professionnalisme, le calme avec lequel elle soigna ma tante me subjugua. Elle savait exactement quoi faire, quelle plante utiliser et de quelle façon. C'était réellement impressionnant. Bien plus que les enchaînements des apprentis …

« Parfum de Lavande ?
- Oui, ma chérie ?
- Je veux devenir guérisseuse. »

J'avais cinq lunes quand j'ai avoué ceci à ma mère. La première fois, elle ne me crut pas. Elle pensait que c'était une farce, où une lubie passagère après la démonstration de Fleur de Soleil. Mais je n'en démordais pas. Je voulais réellement devenir apprentie-guérisseuse. Parfum de Lavande tenta alors de me dissuader. Les guérisseurs n'ont pas le droit de tomber amoureux et de fonder une famille. Ils sont le lien entre le Clan des Étoiles et les Clans de la forêt, et rien ne doit les déconcentrer de leurs tâches.

Mais j'étais décidé. Parfum de Lavande pouvait tout tenter, tout expliquer, ça rentrait dans une oreille et ressortait par une autre. Je ne voulais pas devenir une guerrière, et faire de ma vie une boucle répétitive de chasse, patrouille et guerre. En devenant guérisseuse, j'aspirais à une vie pleine de bouleversements. Chaque jour seraient différent, entre cueillette et soin. Et surtout, les conflits claniques ne me concerneraient pas. Et ça, c'était important pour moi, qui avait du mal à comprendre pourquoi les Clans étaient rivaux.

Je suis sûre de moi : devenir apprentie-guérisseuse, c'est mon destin.