Ses parents étaient plats. Effet Papillon et Jugement Dernier étaient de braves guerriers, un peu vaniteux mais loyaux au Tonnerre. Pour Petit Agneau, son avenir était tracé selon sa mère. Effet Papillon était formelle, Petit Agneau deviendrait Etoile des Agneaux un jour. La petite ne comprenait pas tellement, mais pour amour de sa mère elle acceptait ses discours étranges. Elle acceptait tout sans broncher.
A sa naissance, tout s’était passé pour le mieux. D’habitude, le guérisseur de l’époque avait tendance à faire échouer quelque chose, mais la petite avait glissé hors du ventre de sa mère. Son pelage était noir et blanc et très vite, la chatonne avait montré un certain mutisme et une amabilité exemplaire. Elle fut nommée alors Petit Agneau.
Son rêve était de devenir un poisson. L’eau la fascinait malgré qu’elle ne la voyait que lorsqu’il pleuvait. Son idéal aurait été de devenir une chatonne du Clan de la Rivière mais elle se murait dans son silence. Après tout, Effet Papillon et Jugement Dernier étaient des guerriers du Tonnerre, ils se devaient de donner naissance à un chaton du Tonnerre. Sa curiosité grandissait au fur à mesure des mois mais sa soumission était telle qu’elle préférait endurer la torture de son mutisme infantile plutôt que demander la permission hors de la tanière. Les regards la dévisageaient. C’était elle, la chatonne ermite.
C’était elle, la mal jugée.
« Je peux sortir, s’il vous plait ? »Elle bégayait. Elle haïssait parler. Elle se mordit les lèvres et regarda sa mère adoptive, stupéfaite. Elle pensait peut – être que Petit Agneau était née muette. Elle était juste née craintive et soumise.
« Bien sûr Petit Agneau ! Ne t’éloigne pas trop. »La chatonne osa lever les yeux au ciel. Elle était bien la dernière à vouloir s’enfuir. Le vent la faisait frissonner. Elle pouvait entendre les rires de ses confrères, sentir l’immensité de la forêt, les effluves du gibier et suivre les courbes des arbres qui s’élançaient vers le ciel. Son désir d’être poisson se dissipa. Son regard se porta sur la chef de l’époque qui souriait doucement à une poignée de guerriers avant d’aller prendre une proie. Ses muscles étaient tendus, sa démarque assurée. Elle la fascinait. Pour Petit Agneau, devenir Etoile des Agneaux sonnait comme l’objectif de sa vie.
Effet Papillon et Jugement Dernier méprisaient les flèches. Seulement, leur haine viscérale s’étendait aussi pour les guérisseurs. Au fond, ils les enviaient, d’avoir des entraînements spéciaux et d’occuper une fonction si spéciale qu’ils étaient vus comme des êtres à part par la forêt, juste pour soigner ou espionner. Par précaution, ils savaient leur fille extrêmement timide et ermite, ils avaient demandés à sa nourrice qui faisait office de mère adoptive, Reine de Cœur, de ne pas parler des flèches ou des guérisseurs. Dans ce monde de violence, l’uniformité était le mieux pour eux. Il fallait préserver leur fille. Petit Agneau ne devait devenir qu’une masse parmi la forêt.
Quand on lui demandait ce qu’elle voulait être, elle répondait avec ce sourire enfantin « Être chef. Puis être heureuse, surtout. » L’absence de vocation la poussa à devenir Nuage des Agneaux, pour le bonheur d’Effet Papillon et Jugement Dernier.
Son baptême fut solennel. L’absence d’excentricité dérouta Petit Agneau. Elle s’attendait à des cris de partout, des phrases dites de manière aléatoire, un immense jeu de cache cache où le gagnant allait devenir son mentor. Rien de tout cela. Tout avait été prévu au final, et elle allait avoir un baptême comme tout le monde. Uniforme.
« Petit Agneau as désormais atteint l'âge de 6 lunes, elle peut donc devenir apprentie. Par le pouvoir qui m’est conférés par le Clan des Etoiles, Petit Agneau, je te nomme apprenti du Clan du Tonnerre. Ton nouveau nom sera Nuage des Agneaux. »On l’acclama avec joie. Elle pleurait. Elle pleurait son nom stupide et son absence de vocation. Elle ne désirait plus être chef, elle haïssait ses parents de lui avoir menti. Être chef n’était pas qu’amusement et joie perpétuelle. Être chef, c’était d’établir sa masse uniforme.
« Tu es heureuse ma chérie ? » dit Effet Papillon.
« Oui maman. Je ne veux plus être chef, c’est bien non ? »La guerrière la dévisagea.
« Le pouvoir te rendra heureuse.
- D’accord. » « Comment tu t’appelles ?
- Et toi ? Je ne sais pas plus vraiment. Hier je m’appelais Petit Agneau et apparemment il ne faut plus m’appeler comme ça aujourd’hui.
- Tu dois être Nuage des Agneaux dans ce cas. Tu es devenue apprentie félicitations ! »Elle pencha la tête sur le côté. Pourquoi la féliciter alors qu’elle avait rien fait de spécial à part grandir ?
« Tu es un Nuage aussi ?
- Oui. Je suis Nuage Cadavérique.
- C’est triste comme nom. »Il semblait mal à l’aise. Il se contenta d’un faible sourire et fit volte face pour partir avec son mentor. Nuage des Agneaux le regarda s’en aller. Nuage Cadavérique. C’était tout de même terriblement laid.
Sa première patrouille fut un grand moment pour elle. Tout le monde lui disait qu’une patrouille était la première tâche guerrière d’un apprenti, et elle se plaisait d’obéir à l’avis des autres. C’était un gentil petit mouton. Un gentil petit agneau.
« Fait bien attention Nuage des Agneaux ! »Jardin d’Eden était son mentor depuis quelques temps. L’ancien ayant abandonné face à l’esprit idéaliste de la chatonne et de ses questions embarrassantes à tout va.
« On va se faire attaquer par une proie ? »La femelle rit. Jardin d’Eden était une jolie guerrière blanche, si bien qu’il semblait qu’elle vivait dans une bulle protectrice où les grasses du monde ne l’atteignaient pas. Elle souriait, elle riait, elle répondait. Elle était divinement simple. Ses yeux étaient une beauté minimaliste, d’un ambre pur. Elle était belle, vraiment. Sans artifice, qu’avec que sa gentillesse sans limite pour la sublimer.
« Non, mais qui sait ce qu’il a dans la forêt ! »Les autres guerriers tournèrent le dos et les regardaient d’un air amusé. Un bruit sourd sonnait. Tout le monde aplatit au sol et Nuage des Agneaux les admira un instant avant de les imiter rapidement après quelques secondes de réaction. Un éclair roux fila et fondit sur une souris.
« Bravo Danse du Requin ! » hurla l’apprentie.
Jardin d’Eden lui jeta un regard inquiet et les autres patrouilleurs poussèrent un soupir.
« Nuage des Agneaux … Ecoute … Il ne faut jamais hurler en patrouille. Tu as fais fuir tout le gibier. »Elle ne comprenait pas leur monde. Elle avait acclamé un guerrier comme ils l’avaient acclamé.
Une écharde s’était enfoncée profondément dans un de ses coussinets. Elle découvrit la douleur. Jardin d’Eden lui conseilla d’aller voir le guérisseur et l’apprentie parut désorientée.
« Le guérisseur ? »Reine de Cœur, assise à côté de son mentor, rit.
« Les secrets s’exposent un jour ou l’autre. Suis-moi Nuage des Agneaux. »La femelle écaille se leva et l’emmena jusqu’à l’antre du soigneur. Nuage des Agneaux bondit pour éviter une racine à l’entrée et s’engouffra dans la tanière. Un grand mâle tabby l’accueillit, suivi d’un minuscule félin écaille.
« Qu’est – ce qui t’es arrivé ma grande ? » sourit le guérisseur.
« Je sais pas. Mon coussinet me fait mal, maman m’a dit qu’un immense morceau de bois était entré dedans. Elle a pas voulu que je vienne, elle a essayé de le retirer seule mais elle a pas réussi. Puis je suis allée voir Jardin d’Eden qui m’a dit de devenir. Je ne sais pas qui tu es et ce que tu fais, donc Reine de Cœur m’a accompagné. »« C’est … Fâcheux. » dit le félin écaille avec un petit sourire agacé.
« C’est ta fille ? » demanda Nuage des Agneaux.
L’apprenti guérisseur prit une grande inspiration et ouvrit la bouche.
« Non. J’ai des parents. Tout le monde n’a pas des mégalomanes comme parents qui te mettent en pouponnière et te refilent la stérile du coin pour combler son manque affectif.
- Nuage des Chimères ! »Le dénommé leva les yeux au ciel.
« Excusez le, il est toujours comme ça. Tu vas t’excuser tout de suite !
- C’est un mâle ou une femelle en fait ? Je ne sais pas, il est tout petit et sa fourrure elle est …
- Nuage des Agneaux …
- Ces enfants ! » s’exclama joyeusement Reine de Cœur.
Le mâle écaille regarda l’apprentie guerrière d’un air désabusé.
« Si elle s’excuse d’abord.
- Elle n’a pas fait exprès !
- M’en tape.
- Excuse-moi ! » dit Nuage des Agneaux.
Elle s’allongea au sol et baissa la tête. L’apprenti guérisseur soupira.
« Charmant. Je n’en demandais pas tant mais il faut avouer que c’est plaisant.
- N’oublie pas ta part du marché. » grogna le guérisseur.
« Excuse-moi d’avoir dit que tes parents sont mégalomanes. » Il eut un petit sourire.
« Il n’y a pas que ça, on le sait tous. »Reine de Cœur eut un sourire gêné et regarda Nuage des Agneaux qui ne semblait pas comprendre la situation. Elle chargea le guérisseur de son coussinet tandis que ce dernier réprimandait sévèrement son apprenti.
Pour Nuage des Agneaux, Nuage des Chimères sonnait mieux que Nuage Cadavérique.
Le lendemain, son entraînement se passait en collaboration avec le mentor de Nuage Cadavérique, Lever de Soleil.
« Tu as toujours porté ce drôle de nom ?
- Laisse-moi Nuage des Agneaux.
- Ce n’est pas une moquerie tu sais, mais faut avouer que c’est vraiment moche ! C’est tes parents qui…
- Mais laisse-moi ! »Il accéléra sa marche, l’apprentie aussi.
« Tu vas me suivre comme ça encore longtemps ?
- Pourquoi tu veux pas me parler ?
- Tu m’énerves tu es bête. »Elle s’arrêta un instant et regarda l’apprenti. Elle n’était pas bête. Reine de Cœur ne lui avait jamais dit ça. Jardin d’Eden non plus.
« Vous les mâles vous dîtes tous pareil !
- T’as que quelques lunes tombe pas dans ce cliché, c’est débile.
- Je ne suis pas débile !
- Tes paroles le sont.
- C’est faux ! C’est pas ma faute si tes parents n’ont …
- Mais sérieusement, tu penses que Nuage des Agneaux c’est mieux ? »Elle se tut et reprit silencieusement sa marche. Elle apprit que le ventre était une partie sensible. Elle demandait à Jardin d’Eden si cette partie était particulièrement sensible car elle renfermait le cœur, elle rit, les autres soufflaient. Sa naïveté faisait sourire les femelles et souffrir les mâles visiblement. Elle apprit que les lapins et les souris se chassaient différemment et s’en étonnait. Nuage Cadavérique se contentait de lâcher des « Evidemment ! » d’un air assuré. Il paraissait drôlement intelligent. Nuage des Agnaux, elle, se demandait pourquoi Nuage des Chimères n’était pas avec eux, puisque tous les apprentis dormaient ensemble. Elle crut qu’il était malade à vie et l’idée que quelqu’un soit né avec un problème la désolait. La vie était juste, la vie ne faisait cela à personne. A la fin de l’entraînement, la mort dans l’âme, elle alla voir son camarade.
« C’est vraiment si laid que ça Nuage des Agneaux ? » Il sourit.
« Presque autant que Nuage Cadavérique.
- On peut être amis dans ce cas ? Oh oui soyons amis ! C’est génial les amis ! C’est Reine de Cœur qui me le disait quand j’étais Petit Agneau ! Je ne comprenais pas trop mais tant pis !
- Quand tu seras moins bizarre. »Elle le regarda partir et s’assit. Elle attendrait dans ce cas.
« Pourquoi tu viens pas la nuit avec nous ?
- Je suis apprenti guérisseur. »Son ton était fier mais Nuage des Agneaux le connota comme quelque chose de dramatique. Sa déclaration était froide. Sans appel. Pour elle, être apprenti guérisseur avait été toujours vu comme une abomination.
« Tu t’entraînes à servir à rien alors ?
- Tu t’entraînes à tuer ? C’est tellement mieux. »Sa vision des choses était bouleversée.
« Non je vais défendre mon Clan, acquérir le pouvoir et être heureuse.
- Gentil petit agneau.
- Pourquoi vous me dîtes tous ça ? Vous m’énervez.
- Tu suis sagement ce qu’on te dit de faire. C’est une bonne chose. »Il se retourna et alla caresser du bout des pattes les tas de plantes.
« Après tout je t’envie presque. C’est dur à vivre le libre arbitre. J’aimerais me dire que soigner des gens serait mon but premier et que je suis heureux ainsi. J’aimerais vraiment.
- Je te fais peur ?
- Non, je t’aime bien au fond. J’ai beau te trouver un peu stupide tu m’amuses. »Elle sourit. Nuage des Chimères était le seul mâle à bien l’aimer.
« Tu m’aimes bien parce que t’es à moitié une femelle ou …
- Dégage. »Elle se promenait au centre de la clairière. Telle une flèche au ralenti, elle suivait une trajectoire diagonale au travers la grande place, dans ses pensées. Elle avait une mère et un père, et pourtant elle ne parvenait à combler ce vide affectif au fond d’elle. Nuage Cadavérique était étrange, Nuage des Chimères méchant, seules Jardin d’Eden et Reine de Cœur semblaient éprouver de l’affection pour elle. C’était étrange et amer comme sensation. Elle avait cette fierté d’être seule et de pouvoir vivre ainsi, mais d’un côté elle ne pouvait ignorer cette douleur dans le ventre à chaque rejet. Etait – ce une douleur au ventre ou bien dans le cœur ? Elle ne savait pas encore. Jardin d’Eden lui avait dit que cette partie du corps était sensible, pourtant ces félins ne la touchaient pas physiquement. Ils faisaient bien pires que ça. Ils l’attristaient.
Quelques jours plus tard, elle devenait l’amie de Nuage Cadavérique et Nuage des Chimères.
« On est bien là non ?
- Ouais …
- A trois apprentis … C’est génial je trouve !
- Nuage des Chimères n’est pas un apprenti comme nous tu sais.
- Ah b…
- Nuage Cadavérique, tais toi, je comprends que t’aie du mal à digérer le fait que ta mère soit morte quand t’es né mais tout de même, évite de nous tuer le moral aussi, t’es gentil. » déclara l’apprenti guérisseur avec un ton mordant.
Le mâle gris se leva et lui bondit dessus en jurant. Les deux mâles roulèrent au sol et Nuage des Agneaux les regarda faire sans bouger. Après tout, elle se disait que c’était à eux de régler leurs conflits et que s’interposer les frustreraient.
« Je me barre ! » hurla Nuage Cadavérique.
« J’en ai marre de ce gros bouffon, il ne fait que ça ! T’as jamais connu la souffrance toi ! Tu sais pas ce que c’est, souffrir, faire le deuil et se coltiner un nom honteux ! T’es juste un c*nnard qui se dit rebelle alors qu’au fond, t’es juste un emm*rdeur. Je te hais Chimères ! T’as entendu ? Je te hais ! »Le mâle écaille s’approcha, digne malgré son visage en sang. Il n’avait laissé aucune marque, il n’avait même pas daigné sortir ses griffes et se défendre.
« T’as de la bave sur le côté. Tu ressembles encore plus à un chien qui a la rage ainsi, tu es vraiment magnifique. »Il eut un petit rictus et le mâle gris partit rapidement avant de rebondir sur son ami.
« Ce n’était pas très gentil…
- La vérité fait souffrir. »L’entraînement se déroula une nouvelle fois de plus avec Nuage Cadavérique et Lever de Soleil. Perturbée par les déclarations de Nuage des Chimères, l’apprentie s’approcha de son ami.
« Il avait raison ?
- Qui ?
- Nuage des Chimères. »Un nuage passa sur le visage du mâle gris. Nuage des Agneaux comprit que son ami avait eu raison.
« Pardon.
- Mes parents ne sont plus du Clan. Il y a seulement Fleur de Lotus qui se fait passer pour ma mère. Ma vraie mère est morte en accouchant. Mon père a pas supporté le choc et on raconte qu’il s’est enfuit très loin pour changer de vie et oublier. L’abandon d’un être pour en soigner un autre tu vois. »Nuage des Agneaux écoutait sagement son récit. Elle n’avait pas eu de grosses tragédies à son goût, mais elle se contentait de prendre tout à la parfaite dérision. L’histoire de Nuage Cadavérique la bouleversait.
« J’étais fils unique. On ne sait pas encore pourquoi, apparemment ma mère attendait toute une portée. On pensait que j’allais mourir mais au final j’ai survécu. » Il cracha.
« Et ces imbéciles, au lieu d’écraser l’affaire, non, il a fallu que je me souvienne que toute ma famille n’est plus ici ! En hommage à ces accidents à répétition, on m’a appelé Petit Cadavre et me voilà Nuage Cadavérique ! C’est la joie p*tain !
- C’est joli en fait. Nuage Cadavérique. C’est plein d’émotions et ça porte un message.
- Pas sûr que Nuage des Chimères n’ait de sens pour son porteur. » cracha le félin gris d’une voix mordante.
Une ampoule s’éclaira dans un coin de la tête de Nuage des Agneaux. Pourquoi ne pas lui demander, après tout ?
Quelques lunes plus tard, Effet Papillon était retrouvée noyée dans la rivière. L’amour pour l’eau ainsi l’envie de devenir un poisson de Nuage des Agneaux fût définitivement enterrée.
« Ma mère est morte.
- Embarrassant. »Nuage des Chimères trifouilla dans les herbes médicinales et se retourna vers Nuage des Agneaux avant de tirer une moue déçue.
« C’est dommage, je n’ai aucune herbe pour soigner les maux de cœur. »L’apprentie leva les yeux au ciel. Elle sentit brusquement un contact contre son épaule. L’apprenti guérisseur venait de poser sa tête sur son épaule. Il venait de lui faire une marque d’affection. C’était dingue de sa part.
« Pourquoi tu fais ça ?
- Parce que je t’aime bien. Tu es mon amie. Je n’ai aucune herbe pour soigner le cœur et la tristesse, en revanche un ami le peut parfaitement.
- Pourquoi tu t’appelles Nuage des Chimères ?
- Je ne vois pas en quoi ça t’aiderait.
- Dis le moi. »Il s’assit en face d’elle et enroula sa queue autour de ses pattes.
« Une chimère a plusieurs sens. C’est une créature mythologique assez malsaine, et c’est aussi une sorte d’illusion. Je sais, de base c’est pas très clair. Au début on m’a appelé comme ça parce que je suis un rêveur.
- Un rêveur ?
- Je rêve d’une forêt sans Clans. Je rêve de paix. Je rêve d’entente. Je rêve de calme. Je hais la morale et je hais ces règles. Je te promets j’en peux plus. Je veux juste qu’on puisse aller se baigner dans la cascade si on en a la sainte envie. Je veux qu’on puisse être amis avec les gens que l’on veut sans se préoccuper de simples formalités de Clans. Je hais ces Clans. Je te jure, ça me bouffe.
- C’est un raisonnement logique. »Il eut un instant de vide. Comme un temps de latence. Il la regarda d’un air ébahi et un large sourire se dessina sur son visage. C’était la première fois que Nuage des Agneaux le voyait sourire ainsi.
« Merci. Je pensais être le seul.
- Et donc, à cause de ces chimères les gens pensent que tu es infréquentable. Un monstre. » Elle marqua une pause.
« Une véritable chimère.
- Oui.
- J’aime beaucoup ton nom.
- Merci, le tien est bien aussi. »Ils se sourirent. C’était rare ces sourires mutuels.
Les lunes qui suivirent furent plates et paisibles. Elle continuait de manière mécanique ses entraînements, parlant tantôt à Nuage Cadavérique, tantôt à Nuage des Chimères. Nuage Cadavérique lui disait de se méfier de l’apprenti guérisseur, de se méfier des ressentis et des sentiments. Elle s’en fichait. Pourquoi s’inquiéter de ses sentiments quand on est dans un Clan, en liberté la plus totale ? Après tout, les Clans étaient compréhensifs, Nuage des Chimères était juste mais horriblement pessimiste dans son jugement. Elle s’allongea dans l’herbe et pensa aux tragédies de sa vie. Effet Papillon était morte mais dans son cœur, la seule chose qui s’était brisée était sa fascination pour l’eau. Effet Papillon était sa « maman », mais pour Nuage des Agneaux, sa véritable mère avait toujours été Reine de Cœur, la stérile, la folle de la pouponnière, la gâteuse. Malgré sa simplicité d’esprit et son esprit trop maternel pour être dans la norme, Nuage des Agneaux l’adorait. Plus que ça, elle l’admirait. Quand elle pensait à son futur, elle se voyait comme Reine de Cœur. Simple, une ombre parmi tant d’autres, une simple mère qui allait aimer le monde et la terre entière. Tout simplement.
« Je t’aime. »C’était décevant de simplicité. Nuage des Agneaux resta muette, une moue pensive sur le visage.
« C’est pas réciproque non ?
- C’est différent. C’est banal comme déclaration. »Le petit corps se déplaça et se plaça devant elle. Au fond de ses iris verts brillait de même de la sincérité. C’était étrange, il n’avait pas l’habitude d’être sincère.
« C’est vrai que je suis assez triste de te réduire à qu’une lettre et demi dans une formule aussi banale. Je pourrais dire que je t’adore, que je veux me barrer avec toi, que je pourrais sauter du haut d’un pin, me noyer dans la rivière, avaler des baies empoisonnées ou sortir mes griffes pour crever d’hémorragie, bon sang je le ferrais. Parce que tu me l’as demandé. Je pourrais balancer le gibier aux quatre coins de la forêt, mourir de faim et dépérir, si tu me l’ordonnes je le ferais. J’étais déçu de te dire je t’aime aussi, c’est c*n comme formulation. Mais je pense que c’est l’expression qui résume le plus le concept des sentiments. »Nuage des Agneaux sourit.
« Je refuse que tu te fasses de mal tout le temps que je serais là. »Elle s’approcha de lui et colla son menton contre son épaule.
« Je t’aime Nuage des Chimères. »Elle venait de signer leurs arrêts de mort.
Nuage Cadavérique, Nuage des Chimères et Nuage des Agneaux avaient désormais douze lunes. Bien que l’apprenti guérisseur ait encore une lune d’entraînement, le guérisseur disait qu’il avançait vite dans son apprentissage et qu’il passerait guérisseur très bientôt. Nuage des Agneaux redoutait cette cérémonie, cette monotonie et ces gestes mécaniques, elle voulait du suspense, des choses changeant de l’ordinaire.
« J'en appelle le Clan des Etoiles pour qu'il se penche sur cette apprentie, Nuage des Agneaux a travaillé dur pour comprendre les lois de votre noble code, elle est désormais capable de devenir guerrière à son tour. Ton mentor Jardin d’Eden a su te transmettre la bonté, le courage, l’esprit du Clan et les qualités nécessaires pour devenir une noble guerrière du Tonnerre. Tu as su faire preuve de lucidité et de bravoure dans ton entraînement, acceptant un autre novice avec toi lors de tes cours. Nuage des Agneaux, promets-tu de défendre ton Clan au péril de ta vie ? »Une lueur s’alluma dans les yeux ambrés de l’apprentie. L’accomplissement de toute sa vie allait se produire dans les secondes suivantes. Elle se redressa fièrement sur ses pattes et déclara d’un ton enjoué.
« Non. »Personne ne comprit. Le chef demeura muet et un sourire béat s’étira sur le visage de l’apprentie. Nuage Cadavérique, à côté d’elle, paraissait médusé tandis que Nuage des Chimères souriait, comme fier de cette action si imprévisible pour tous. Il fut le premier à bondir sur ses pattes.
« Nuage des Agneaux ! Nuage des Agneaux !
- Mais sérieux c’est quoi ton soucis Agneaux ? C’est ton baptême, pas une cour de récréation ! » lâcha Nuage Cadavérique d’un air agacé.
« Grandissez un peu, vous avez que ça à faire, fo*tre la m*rde sans arrêt ? Bon toi tu le fais pas exprès, mais l’autre s’en donne à cœur joie, maintenant tu arrêtes tes c*nneries et tu comprends que le Clan des Etoiles n’a pas que ça à faire de voir une apprentie qui se moque de ses dogmes.
- Je suis sincère, après tout, je ne sais pas si je serais capable de défendre le Tonnerre au péril de ma vie. Personne ne sait. Je mourais peut – être dans mon sommeil ou noyée dans une rivière comme maman. »La meneuse du Tonnerre gronda et prit une grande inspiration.
« Nuage des Agneaux, promets-tu de défendre ton Clan au péril de ta vie ? »Nuage Cadavérique jeta un regard consterné à l’apprentie. Sans n’avoir réellement comprit ses tords, Nuage des Agneaux baissa la tête et murmura.
« Oui.
- Par les pouvoirs qui me sont conférés par la Clan des Etoiles, je te donne ton nouveau nom. Nuage des Agneaux, tu t’appelleras désormais Silence des Agneaux. Nous t’accueillons dans nos rangs en tant que guerrière à part entière. Tu veilleras cette nuit du crépuscule jusqu'à l'aube, sous silence. »Elle descendit du promontoire et effleura le museau de la nouvelle guerrière. Cette dernière demeura immobile, comme terrifiée.
« Que faites vous ?
- Lèche-moi l’épaule. »Elle s’exécuta. Nuage Cadavérique fut nommé Cadavre Exquis et les qualités énoncées étaient plus ou moins les mêmes. Dans le discours de la meneuse, seuls les noms changeaient.
« Cadavre Exquis ! Silence des Agneaux ! »Si elle aurait pu, elle serait grimpée sur le promontoire et aurait hurlé de cesser. Ces acclamations la rongeaient de l’intérieur. Au fond, tout le monde se fichait de leur baptême, cette cérémonie n’était que formalité, et malgré son envie d’être une masse parmi les ombres, Silence des Agneaux refusait d’avoir affaire aux formalités. Ceux qui ne criaient pas l’aimaient véritablement à ces yeux. Ses larmes cessèrent quand elle vit que Nuage des Chimères ne criait pas.
« Tu détestes ce que tu es devenue n’est – ce pas ?
- Non j’aime bien, personne ne m’embêterait, je suis guerrière désormais.
- Cadavre Exquis est heureux lui.
- Cadavre Exquis est intelligent aussi.
- Tu n’es pas stupide. »Silence des Agneaux regarda son compagnon avant de soupirer.
« Pourquoi t’es aussi gentil avec moi alors que tu détestes tout le monde ?
- Parce que tu mérites de la gentillesse et de l’amour. Personne n’est compréhensif.
- Toi si. »Nuage des Chimères soupira. Le fait qu’il soit encore un apprenti perturbait Silence des Agneaux. Elle avait l’impression d’être supérieure et cette impression l’effrayait.
« Faut plus qu’on traîne ensemble, Agneaux.
- Pourquoi ?
- C’est dangereux. »Silence des Agneaux pencha la tête sur le côté. Elle ne comprenait plus. Pourquoi était – ce dangereux d’aimer un futur guérisseur ? En quoi l’amour pouvait être nocif pour leur vie ?
« Forcément un jour on regrettera tu sais.
- Je ne vois pas comment Nuage des Chimères. Tu dois être trop pessimiste. »Il soupira.
Elle avoua sa relation à Cadavre Exquis. Ce dernier s’indignait. Malgré que leur amitié fût très claire dans la tête de Silence des Agneaux, le mâle gris ne pouvait s’empêcher de se sentir trahi. Lui, à qui elle avait toujours tout dit, lui cacher une liaison aussi malsaine aux yeux de ses semblables ? C’était une folie pure.
« Et ça t’amuse ?
- Qu’est – ce qui m’amuse ?
- Cet air ! Celui là ! Celui de la femelle désabusée qui ne voit le mal nulle part !
- Je ne vois pas où l’amour peut destructeur.
- L’amour c’est comme si t’ouvrait la gueule avec une poignée de baies empoisonnées dedans.
- C’est stupide, personne ne ferait ça.
- Et qu’à chaque faux pas, tes mâchoires se refermaient peu à peu.
- C’est dingue !
- C’est ce que tu fais !
- Pas du tout.
- Un jour ça va se savoir et là, tu seras vue comme la rejetée du Clan des Etoiles. »Il se retourna pour évacuer son mépris. Déboussolée, Silence des Agneaux soupira avant de fermer les yeux.
« Ma mère est du Clan des Etoiles. La tienne aussi. Tu penses qu’ils refuseraient l’amour ? »Cadavre Exquis la regarda, muet. Pourquoi des mères sanctionneraient un sentiment ? Pour Silence des Agneaux, ça n’avait pas de sens. Pour son ami, il se devait de suivre des règles.
« Tu n’as pas le droit Silence des Agneaux. C’est interdit, c’est comme ça. C’est comme aimer une personne d’un autre Clan, c’est tout simplement interdit, sinon le Clan des Etoiles est en colère et il risquerait de réduire les proies dans la forêt. »
Par précaution, elle se tuait à la tâche. Du matin au soir elle chassait. Personne ne la voyait au camp, ou seulement à quelques heures chaudes de l’après midi, ruisselante de sueur à la force de s’agiter sous le soleil brûlant. Elle voulait se faire pardonner, prouver sa loyauté envers le Clan du Tonnerre, cueillir chaque proie de la forêt afin d’établir un garde manger suffisamment grand pour que son Clan survive. Elle refusait de se bâtir une mauvaise réputation pour une raison aussi stupide à ses yeux. Cadavre Exquis la regardait de loin sans comprendre cet excès de travail, Nuage des Chimères passait son temps en entraînement, pour lui c’était la dernière ligne droite. Il allait devenir guérisseur, mais malgré cette future nomination, il paraissait plus éteint qu’à l’accoutumée. Silence des Agneaux avait beau le questionner, il détournait les questions et la guerrière suivait ses déviations. Pour être si évasif, la femelle préférait se convaincre qu’il avait ses raisons.
Elle montrait des signes de fatigue. Jardin d’Eden se faisait vieille et passa ancienne. Reine de Cœur la rejoint aussi dans la tanière des vétérans. Silence des Agneaux voyait d’un œil mauvais cet antre. Les félins qui étaient sur le point de mourir y allait en général. Elle refusait de voir ses deux modèles s’en aller. Nuage des Chimères la pria de se calmer, que tout allait aller pour le mieux. Malgré tout, les mises de gardes de Cadavre Exquis la hantaient. Elle allait devenir la risée du Tonnerre. Les Clans allaient la détester. Elle n’allait pas être cette femelle aimée de tous, comme la meneuse qui l’avait tant fasciné quand elle n’était qu’un chaton.
« Et si on s’en allait ?
- Pardon ?
- Adorable ! Nuage des Chimères, ça serait adorable !
- Qu’est – ce que tu dis ?
- Je te jure Chimères ! On partirait, on serait deux dans la nature, seuls et juste heureux pour le reste de nos jours ! On aurait trois chatons, on les appellerait Petit Quetzal, Petite Prospérité et Petite Edelweiss ! Je te jure ça serait …
- Silence des Agneaux …
- Oui t’as raison, Edelweiss c’est pas terrible. Le mot Prospérité est moche aussi…
- Silence des Agneaux …
- Oh je sais ! Adorable ! J’ai une idée absolument adorable ! On les appellerait Eden et Valet de Cœur ! En hommage à…
- Silence des…
- Pas Jugement Dernier en tout cas, il m’a toujours abandonné. Il n’a jamais été très gentil, tu ne trouves pa…
- MAIS B*RDEL TU VAS M’ECOUTER ?! »Elle se tut et regarda son compagnon.
« J’adorerais. Vraiment. Avoir des chatons, qu’on fuit à travers les forêts, qu’on apprenne à nager et qu’on se jette du haut de la cascade en riant comme si le monde ne pouvait pas nous arrêter.
- On pourrait Chimères ! On est dans un Clan libre après tout ! Nous sommes des chats sauvages sans lois qui survivons qu’avec nos griffes et notre mental d’acier ! Rien n’est impossible …
- Tout est impossible. A commencer notre relation. Dans quelques jours je serais guérisseur.
- Quel est le problème ?
- Tu n’as pas l’air de comprendre. Les guérisseurs n’ont pas le droit de tomber amoureux. »Le visage de la femelle se décomposa. Quelque chose se brisa en elle, quelque part dans le ventre. Elle pensa à un poumon vu la douleur et porta une patte à l’endroit. Un poumon, ou son intestin qui glissait le long de sa patte arrière.
« Toi aussi tu penses ça ?
- Je dois le penser. Mais au fond je m’en fiche. Je m’en fiche de ces règles, tu le sais bien.
- Mais ça te rend triste au fond. Tu as maigris Chimères.
- Si tu savais. C’est même pas de la tristesse, c’est de la démolition programmée. »Le jour J était arrivé. La fourrure délicatement mêlée comme à son habitude, sa taille d’apprenti de sept lunes qui le caractérisait si bien, ses yeux vert fixes sur un objet que seul lui pouvait voir, Nuage des Chimères était assis près de son mentor. Le guérisseur souriait, aux anges. Son apprenti allait enfin devenir un soigneur et défendre les valeurs qui lui avaient si bien appris. Pour lui, c’était l’accomplissement de sa vie, pour Nuage des Chimères, c’était la guillotine.
« J'en appelle à nos ancêtres pour qu'ils se penchent sur cet apprenti. Il a travaillé dur pour comprendre la voie des guérisseurs, et elle va désormais la suivre pendant de nombreuses lunes. Il a fait preuve de clairvoyance, de concentration, et son dévouement pour réussir à obtenir son rang de guérisseur ont prouvés sa loyauté envers le Clan du Tonnerre. Nuage des Chimères, promets-tu de respecter ta voie, tout en restant en dehors des rivalités claniques, et cela au péril de ta vie? »Le regard perdu, l’apprenti n’osait même pas répondre ce qu’il pensait réellement. Non. Il refusait. Il ne souhaitait pas se voir seul le restant de ses jours sans pouvoir aimer la femelle qui voulait. Au fond, il adorait son futur travail, mais Silence des Agneaux avait tout remit en cause. Il leva la tête dignement, prit sur lui et prit une grande inspiration.
« Oui.
-Par les pouvoirs qui me sont conférés par le Clan des Étoiles, je te donne ton nouveau nom: Nuage des Chimères, à partir d'aujourd'hui tu t'appelleras Esprit des Chimères.
- Esprit des Chimères ! Esprit des Chimères ! »Le mâle écaille ne savait plus où se mettre. Le guérisseur tabby s’approcha de lui et lui donna une tape respectueuse et amicale sur le nez. Un sourire se dessina sur le visage du nouveau guérisseur mais très rapidement, son regard croisa celui de sa compagne. Elle ne l’acclama pas. Pour eux, le refus d’acclamer l’autre aux cérémonies était un symbole d’amour, et faire comme les autres prouveraient du mépris.
Or ils ne se méprisaient pas. Ils se respectaient grandement. Ils s’adoraient. Mieux que ça. Ils se fascinaient. De manière malsaine pour tous, ils s’aimaient.
Les guérisseurs ne veillaient pas. Ils allaient dans un endroit lointain où ils communiaient avec les Etoiles. Toute la nuit, Silence des Agneaux se demandait si elle pouvait communier elle aussi. Elle se demandait ce qu’elle pourrait dire à ces divinités. Leur demander pardon, parler à la mère de Cadavre Exquis et lui dire que son fils est devenu un parfait guerrier. Elle ne savait pas comment s’y prendre et elle savait qu’Esprit des Chimères ne pouvait rien lui divulguer non plus. C’était fascinant, ces histoires de pouvoirs de guérisseurs. Certains disaient qu’ils étaient même capables de voir dans le futur, par des conversations codées avec les Etoiles que seuls eux pouvaient décoder. C’était passionnant. Elle s’allongea et ferma les yeux. Peut – être qu’en imaginant une vaste voûte étoilée elle pourrait communier. Le manque de résultat la décevait.
« Qu’est – ce que tu fais depuis tout à l’heure ? Je te promets tu fais un boucan pas possible c’est dingue !
- J’essaie de communiquer avec ta mère pour lui dire que t’es devenu un gentil guerrier Cadavre Exquis.
- Elle s’en ficherait, je l’ai tué dès ma naissance.
- Ne sois pas si pessimiste.
- Ton compagnon est pessimiste, un de plus un de moins ça ne devrait pas te tuer non. »Elle soupira et se tourna vers son ami.
« Tu es pénible. Et très lourd. Vraiment très lourd. C’est méchant ça.
- C’est la vérité. Il ne sait que dire ça lui, la vérité. A se demander d’où il connait la vie de tout le monde.
- Le Clan des Etoiles doit communier avec lui et lui dire.
- Il ne croit pas au Clan des Etoiles.
- Qui te dit ça ?
- C’est le pire guérisseur que la forêt ait porté. Impie, cynique, vicieux, minuscule, handicapé, anarchiste …
- Intelligent, avec une certaine répartie, lucide, de taille moyenne, non gâté par la génétique et surtout, différent. Tu vois, tu es pessimiste toi aussi ! » dit – elle en riant.
Cadavre Exquis la regarda d’un air désolé. Pour lui, sa meilleure amie n’avait pas grandi. Enfantine et trop naïve, elle était trop simple pour vivre en Clan. Elle était étrange, elle semblait avoir un libre arbitre sans en avoir un. Elle l’effrayait.
« Tu es toujours la même.
- C’est adorable non ? C’est formidable je trouve ! Toi par contre tu as changé.
- Bien heureusement. Bonne nuit Silence des Agneaux. »« Jardin d’Eden ! Jardin d’Eden ! C’est Silence des Agneaux ! Je suis là. Je suis là Eden !
- Bouge-toi Silence des Agneaux. Si tu la harcèles son état va empirer !
- Tu n’es qu’un incompétent, Sorbet d’Amour ! »Le guérisseur se retourna, l’œil grave. Ses muscles étaient tendus et pour un soigneur, sa carrure était imposante. Beaucoup pensait d’ailleurs qu’il était un guerrier.
« Pardon ?
- Un incompétent. La maman de Cadavre Exquis est morte par ta faute, ma maman aussi, tu n’as pas su la dégager de la rivière et …
- Un chat du Tonnerre ne sait pas nager.
- Les chats de la Rivière ne sont pas nés dans l’eau ne soit pas si stupide !
- Ne me traite pas d’imbécile.
- Vous comptez vous eng*euler encore longtemps ou je vais être seul à m’occuper d’elle ? » lâcha Esprit des Chimères d’un ton cassant.
Silence des Agneaux regarda son ancienne mentor tousser et trembloter.
« Reine de Cœur me dit qu’elle est là depuis ce matin et … Oh pitié, priez le Clan des Etoiles pour que rien ne lui soit arrivé … »La guerrière semblait paralysée par la peur. Elle ne voulait rien perdre. Elle avait tout à perdre dans sa vie, et la chute serait douloureuse. Elle fixait Esprit des Chimères qui se tuait à la tâche pour tenter de maintenir l’ancienne en vie. Cette dernière griffait le sol frénétiquement, bavait comme un animal atteint de la rage. Sorbet d’Amour essuyait le sol soigneusement tandis que le deuxième guérisseur tentait de calmer la femelle.
Quelques heures plus tard, Jardin d’Eden décéda. Silence des Agneaux se jeta à coté d’elle, lui léchant la joue, la nuque, les oreilles.
« Je t’en prie, Eden. Eden répond moi. Eden …Eden s’il te plait. Ne me laisse pas … Eden déc*nne pas !
- Silence des…
- Tais toi Chimères c’est pas le moment ! Tu vois bien que j’essaie de la rappeler ! Tu veux que je communie avec le Clan des Etoiles ? Tu veux que je te soigne ? Regarde je vais te faire un bisou magique comme tu faisais quand j’étais apprentie et tout va aller. Un, deux, trois. » Elle effleura sa joue trempée de sueur de son museau.
« Ca va mieux ? » Elle rit.
« Hein que ça va mieux ? Tu m’as fais une frayeur je te jure ! J’ai cru que t’étais …
- Son cœur ne bat plus …
- Regarde comment je suis devenue une grande guerrière ! Cadavre Exquis me dit que je suis minuscule mais il est juste jaloux. Puis il est immense. Normal c’est un mâle. Y a que Chimères qui soit un mâle minuscule et … Pourquoi tu me réponds pas ? Eden ? Eden je te parle ! Eden tu vas me répondre oui ! » Elle secoua le corps sans vie de son ancienne mentor.
« Esprit des Chimères elle meurt à nouveau aide moi elle …
- Elle est morte depuis dix minutes.
- Tu mens ! Tu mens toujours ! Tu me dis que tu m’aimes alors que non !
- Silence des Agneaux qu’est – ce …
- Tu ne peux pas m’aimer, t’es un guérisseur maintenant !
- Mais qu’est – ce que tu racontes b*rdel !
- Je te hais !
- Mais pourquoi ?
- Elle est morte à cause de moi ! A cause de nous ! »Esprit des Chimères écarquilla les yeux, ébahi. Silence des Agneaux semblait être devenue complètement folle. Il s’approcha de sa compagne et lui lécha doucement la joue avant d’enfouir sa tête dans son cou.
« Je t’aime Silence des Agneaux. Je sais que tu hais quand je te le dis. Si tu veux pour refaire une cérémonie où je ne t’acclamerais pas.
- Faisons ça. »Une lueur amusée s’alluma dans les yeux de la femelle. Le mâle prit un air grave et monta sur un rocher qui meublait un coin de la tanière des anciens.
« J'en appelle le Clan des Etoiles pour qu'il se penche sur cette apprentie, Nuage des Agneaux a travaillé dur pour comprendre les lois de votre noble code, elle est désormais capable de devenir guerrière à son tour. Ton mentor Jardin d’Eden a su te transmettre la bonté, le courage, l’esprit du Clan et les qualités nécessaires pour devenir une noble guerrière du Tonnerre. Nuage des Agneaux, promets-tu de défendre ton Clan au péril de ta vie ?
- Pourquoi pas ? »Ils rirent doucement.
« Par les pouvoirs qui me sont conférés par la Clan des Etoiles, je te donne ton nouveau nom. Nuage des Agneaux, tu t’appelleras désormais Silence des Agneaux. Nous t’accueillons dans nos rangs en tant que guerrière à part entière. Tu veilleras cette nuit du crépuscule avec ton charmant compagnon qui te remontera le moral. »Silence des Agneaux sourit et commença à s’acclamer. Esprit des Chimères se contenta de la regarder, attendri sans acclamer. La guerrière regarda le cadavre de son ancien mentor et effleura son museau du bout de la patte.
« Elle est partie dans le Clan des Etoiles ? »Le guérisseur grimaça. En tant qu’athée notoire, il ne croyait pas à ses dogmes claniques. Il s’approcha de sa compagne et lui lécha l’oreille.
« Je pense. Elle était tout ce qu’il y a de plus gentil sur cette Terre, pourquoi elle irait autre part ? »Silence des Agneaux soupira et enfouit une dernière fois son museau dans la fourrure de la défunte avant de fondre en larmes.
« Au revoir Jardin d’Eden… »Tout s’accéléra à partir de la mort de Jardin d’Eden. La relation de Silence des Agneaux et Esprit des Chimères véhicula quelques rumeurs que le couple tentait en vain d’éteindre. Cadavre Exquis, réticent à cette union, les alimentaient avec des témoignages plus vrais que nature, s’attirant gloire et fortune aux yeux de ses congénères.
« Pourquoi tu fais ça ? Je pensais qu’on était amis Cadavre Exquis. » dit platement Silence des Agneaux.
« Je t’aime beaucoup Silence des Agneaux. Je refuse de te voir malheureuse avec lui.
- Tu me rends malheureuse. Bientôt tout le Clan sera au courant … A … A cause de tes rumeurs à la c*n là ! P*tain mais tu le fais exprès espèce de sale bo*ffon !?
- Pourquoi tu t’emportes comme ça … ?
- Jardin d’Eden est morte ! Il n’a fait que m’aider sans cesse ! T’étais où toi ? Hein Cadavre Exquis, tu étais où ?! En train d’essayer de te trouver une compagne qui veuille bien de ton nom à la c*n et de tes capacités restreintes d’être père ?
- Moi au moins je peux avoir une portée dans la légalité.
- Je te hais Cadavre Exquis. Je veux me démolir. Tu m’aimes tellement que tu veux me détruire pour pouvoir me reconstruire ensuite. Tu me veux pour toi, et ce depuis des lunes.
- C’est bien un défaut que je hais chez toi, Silence des Agneaux. Ta capacité d’analyse. Tu arrives à analyser tout le monde.
- Tu n’es qu’un égoïste mégalomane. Tu penses qu’en balançant ma relation avec Esprit des Chimères le Clan aura de l’estime envers toi et t’acclamera. Il dira que tu as préféré la loyauté envers le Tonnerre plutôt que l’amitié envers moi mais c’est faux. Tu n’as fais ça que pour ton petit nombril. Tu veux que je déprime, peu à peu, afin de me récupérer au fond du gouffre, désespérée et vide. Tu me dégoûtes Cadavre Exquis. Tu n’es qu’un manipulateur. Et les chefs de Clan ne sont jamais des manipulateurs.
- C’est beau de voir une naïve qui s’éveille. En réalité tu as partiellement raison. Mais avoue que je t’ai bien aidé tout de même. C’est dur de ne pas être élevé. Je veux juste la fierté de mon père qui a disparu, la fierté de ma mère que j’ai tué.
- Tu as besoin d’estime.
- Exactement.
- Donc tu détruis les autres afin de devenir Etoile Cadavérique.
- En effet.
- Et ainsi t’attirer fierté et honneur au nom de la loyauté.
- C’est cela.
- Tu me donnes envie de vomir.
- Je t’en prie. »Elle désirait partir. Si le bonheur n’était pas dans la loyauté, le bonheur était dans la liberté. Son désir d’être heureuse était intact, mais dans sa logique, Silence des Agneaux voyait le bonheur autre part que dans le Tonnerre. Si elle ne pouvait pas aimer Esprit des Chimères dans un Clan, si elle devenait solitaire, est – ce quelque chose changerait ? Plus rien ne la rattachait à la tribu de toute manière. Jardin d’Eden était morte, Cadavre Exquis avait montré son vrai visage, Reine de Cœur perdait la tête, Jugement Dernier ne l’avait jamais aimé en tant que père. Jamais plus rien n’était comme avant. Esprit des Chimères souffrait de leur relation, il n’était pas spécialement loyal mais il serait incapable de vivre en tant que solitaire. Sa décision était prise. Elle allait aller chercher le bonheur autre part.
« Je pars.
- Arrête.
- Je m’en vais Esprit des Chimères. Ne t’inquiète pas je viendrais de temps en temps ! Les gens seront contents de me revoir ! Je leur manquerais parce que des gens m’aiment bien. Je suis sûre que Cadavre Exquis est gentil, et quand je partirais il serait si triste qu’il ferait la fête quand je reviendrais !
- Et moi dans tout ça ?
- C'est-à-dire ?
- Je ne partirais pas.
- Je ne comptais pas partir avec toi. »Le guérisseur la regarda, incompréhensif.
« Je ne te comprends pas …
- Je sais, personne ne me comprend de toute manière.
- Silence des Agneaux. On a tout pour être heureux ! Les gens tu t’en fous. On s’en fout des autres.
- On a besoin de relations amicales pour être heureux.
- Tu as mieux que ça. Tu m’as moi !
- Tu n’es pas un ami. Tu es mon compagnon.
- Où est le problème ?!
- Cadavre Exquis n’est plus mon ami. Jardin d’Eden est morte. Reine de Cœur devient folle. Tu es triste par ma faute. Je n’ai plus rien à faire ici.
- Tu ne partiras pas. Plus personne ne sera là pour me rappeler de m’alimenter, de sortir, être aimable, soigner, vivre.
- Tu y arriveras tout seul. Tu es un grand garçon. » dit – elle en souriant.
Le lendemain elle était partie.
A travers la forêt elle courrait. Elle devait fuir, partir le plus loin possible pour se faire excuser de tous. Le soir elle regardait le Clan des Etoiles, espérant que Jardin d’Eden l’excusait. Les chocs émotionnels l’avaient poussé à l’exil volontaire, mais elle ne savait pas combien de temps elle survivrait ainsi. Elle chassait et avait improvisé un tas de gibier pour se sentir encore dans le Tonnerre. La plupart des solitaires méprisait les Clans et être solitaire était un choix, pas pour elle. Elle s’était retrouvée devant un choix cornélien. Se faire dévaster par les autres ou se dévaster. Elle avait toujours préféré l’autonomie.
Les lunes passèrent, la solitude la rongeait. Elle tentait de sympathiser avec des solitaires, en vain. Pour la femelle naïve qu’elle était, ses semblables étaient trop féroces pour elle. Elle se mit à regretter son Clan natal. C’est pour ça qu’elle lui rendit visite une dernière fois avant de partir loin pour explorer un peu la forêt et ses alentours.
« Tu n’as pas honte de revenir ici ?! »Soupir du Cygne la fusilla du regard, griffes sorties.
« Pourquoi tu me hais ?
- Je ne t’ai jamais spécialement aimée.
- Personne ne me parlait.
- Tu as fuis ton Clan.
- Oui, c’est pour ça que je veux parler à quelques personnes du Tonnerre. Je souhaitais juste être heureuse. Toi aussi tu es heureuse non ?
- Tu as déserté. Tu nous as donc trahis. Tu nous as tous trahis.
- Comment va le Tonnerre sinon ?
- Tu t’en tapes bien. Tu es heureuse là, libre.
- Je ne suis pas heureuse à vrai dire.
- C’est dommage. Ton compagnon te manque c’est ça ? »Le regard de Silence des Agneaux s’obscurcit.
« Comment tu …
- Cadavre Exquis a répandu la nouvelle. Esprit des Chimères est tellement dévasté depuis ton départ qu’il refuse de manger, il est encore plus maigre qu’avant tu le verrais. Déjà qu’il était pire qu’une brindille … Je te jure j’ai bien ris en le voyant.
- Esprit des Chimères n’est pas drôle.
- Il est pathétique.
- C’est faux.
- Même toi tu l’as quitté. De toute manière tu n’as plus rien pour te plaindre désormais. Tu l’as laissé dans la m*rde, tu es jugée comme une traître notoire, tu seras chassée des terres du Tonnerre jusqu’à ton décès. Je ne sais même pas ce que je fais à te parler. Je pourrais te sauter dessus et te ramener en prisonnière.
- Je t’en prie.
- Mes griffes seraient salies.
- Au revoir Soupir du Cygne. »Elle pressa son museau contre sa joue malgré le regard abasourdi de la femelle qui ne comprenait pas son geste. La solitaire s’enfuit, désespérée et démolie. Elle était vue comme un traitre. Elle qui s’était tant donné pour le Tonnerre. Elle pleura. Elle était désormais convaincue que l’amour n’était qu’une poignée de baies empoisonnées dans la bouche et que le bonheur n’était nulle part.
« Et tu es solitaire pourquoi toi ?
- J’ai fuis mon Clan dans le but de rendre mon compagnon heureux, mais j’ai fais tout l’inverse. Je cherchais juste le bonheur. Tu t’appelles comment sinon ?
- Pandémonium. Je suis un ancien chat domestique.
- Oh. Mon pauvre.
- Et toi ? »Elle réfléchit longuement. Son Clan l’avait banni. Tous les Clans l’avaient bannie d’ailleurs. Il ne lui restait que son nom composé de son ancienne vie. Elle devait changer. Elle voulait tout faire changer, comme créer une immense révolution sans sang ni vacarme pour le bonheur de tous, même peut – être diffuser les idées idéalistes de son ancien compagnon. Un soulèvement général où seuls les coups bas seraient acceptés. Une guerre sournoise où elle ne chercherait que le bonheur de ceux qu’elle aimait. Une … Une guérilla.
« Je m’appelle Guérilla. »